LE SOLITAIRE DU JEU D’EQUIPE.

On n’en parle pas, ou très peu. Au-delà du cercle des affidés, on ne connaît souvent même pas son nom. Il vit à l’écart des projecteurs. Solitaire sur le banc, il attend. Le gardien remplaçant  vit le match le nœud à l’estomac, avec l’angoisse permanente d’être jeté, sans préavis, dans une arène hostile. Il jaillit de l’ombre vers la lumière, en un éclair. Une immersion dans un déchaînement d’énergie, d’affrontements perfides, d’intrigues sournoises. L’immédiate réalité d’une  dramaturgie sur glace, celle qui exalte la beauté et la cruauté du hockey.

Le second portier n’est pas un ersatz comme les autres. Il est certes un des éléments du contingent, formé à la même école, aux mêmes cadences, à la nuance près qu’il ne peut, lui, être remplacé. Sa mission est sans retour, sans autre choix que d’assumer l’habit et le rôle du dernier « grognard » face aux légionnaires de l’autre camp. L’ultime rempart quand la muraille du titulaire se lézarde.

A un court lancé de ses vingt et un ans, Hugo Cerviño assume ce statut avec crânerie, audace et un talent naturel. Il a la confiance d’un coach certes bienveillant, mais sourcilleux dans la préparation et la stratégie. Avec humilité, il joue la doublure d’un titulaire de classe internationale, le Suédois Viktor Östlund, au CV affichant un taux d’invincibilité de plus de 90%. Hugo ne remplace pas un N°1. Il n’a pas cette prétention. En revanche, il se substituera, jouera la même partition lorsque les événements le commanderont. Dans le chaudron des temples du hacki anglosaxons, le « remplaçant » est un substitute !

Et lorsque la maison brûle, on s’en remet à ce double pare-feu, contre les raids incendiaires des caïds de Swiss League. Mais il y a fort à parier, que le rempart formé du binôme Viktor / Hugo, nous écrira encore de belles pages du grand livre du HCC.

Comment vit-on un match depuis la bande ?

Je dirais avec la même intensité que sur la glace, mais très souvent avec un stress plus important.  Du banc, on voit tout. On subit le match, sans pouvoir interférer, influencer le cours du jeu. C’est une situation difficile à vivre. Cela étant, je partage les mêmes émotions que mes coéquipiers, quel que soit mon statut, dans les buts, ou remplaçant.

Je fais partie d’une équipe au même titre que le titulaire, ou n’importe quel joueur du contingent. Je sais que je peux être très vite appelé à remplacer Viktor et pour une durée indéterminée. Pour quelques minutes, tout un match, plusieurs rencontres. Cela dit, je vis le championnat comme tous les autres joueurs du contingent. Je dois être prêt physiquement, psychiquement à chaque seconde.

Une fin de match sans jouer, soulagement ou frustration ?

Je ne me pose pas cette question en ces termes. Je vis chaque match comme il se présente, sans me prendre la tête. C’est un défi à chaque fois renouvelé. La question serait plutôt : A-t-on besoin de moi oui ou non ? Dans les deux cas de figure, le soulagement s’exprimera de manière différente, selon qu’il est vécu depuis le banc ou sur la glace. Je suis soulagé lorsque la partie s’est déroulée sans incidents, ou blessures pour le titulaire, ou alors quand j’ai rempli le mandat que l’on attendait de moi dans les buts. Pareil dans la défaite, synonyme de frustration vécue de la même manière de la bande ou sur la glace. J’ajoute que remplacer fait partie intégrante du jeu. On peut vivre un match sans jouer, mais de la tribune !     

20 ans et tout le poids d'une élite du hockey suisse.

Votre relation avec le titulaire Östlund ? Respect ? Copain – copain ? Rivalité ? Et quel est son regard sur sa doublure ?

J’apprends énormément au contact de Viktor Östlund. Il rayonne par son talent certes, mais également par son charisme, sa maîtrise dans les situations les plus complexes. Sur la glace, il est impressionnant. Il lit le jeu, observe l’ouverture de la palette et imagine déjà la trajectoire du puck. Sur sa ligne, il occupe tout l’espace et donne le sentiment de fermer tous les angles.

Dans les vestiaires, on se parle beaucoup. On s’exprime en anglais et lorsque les mots manquent, les regards prolongent la pensée. On échange sur le jeu, l’équipement, la technique. Il me porte un regard attentionné et, reconnaissant, il se souvient qu’il a été quelques temps ma propre doublure. J’ai beaucoup de respect pour cet homme, toujours prêt à donner le bon conseil. Un type bien !

Sur la glace, je veux faire aussi bien que lui, voire mieux. Il est quelque part et pour un temps de jeu, le rival que je dois dompter. C’est une stimulation, une motivation supplémentaire. Mais rassurez-vous, cette rivalité-là ne quitte pas la glace !

Et …Hugo Cerviño, comment le définissez-vous ?

Je suis une nature assez solitaire, ce qui me paraît une évidence pour un gardien de but, seul et ultime rempart. Comme le dit justement notre coach Louis Matte : « Le gardien de but pratique un sport individuel dans un sport d’équipe ! » C’est une des raisons pour laquelle les gardiens ont leurs propres préparateurs. Louis, d’ailleurs, ne manque pas de nous le rappeler, sur un ton moqueur : « Je ne peux pas tout faire ! J’ai sur les bras 24 joueurs. Eux n’en n’ont que deux !

Je m’efforce de rester calme devant ma cage. C’est une vertu que je dois encore améliorer. Je reste un gardien très vif et qui parfois en fait un peu trop et qui me retrouve en dehors de ma cage. Je suis calme dans le sens que je ne vais jamais m’énerver sur la glace mais dans mon jeu tactiquement parlant, je ne suis pas assez calme. Calme pour ne pas dévoiler trop tôt à l’adversaire une nouvelle posture, un déplacement. Je soigne également les codes échangés avec mes défenseurs. C’est important pour la bonne coordination de notre jeu. Mais, ces courts échanges sont parfois impossibles dans une patinoire surchauffée par le public !

Ce calme me sert également dans le cas de scènes confuses devant mon but, à l’issue desquelles, une perte de sang-froid est immédiatement sanctionnée. Je n’ai à  ce jour jamais « explosé » un câble pendant un match, ni ma canne en rentrant aux vestiaires. Enervé, je garde ce sentiment pour moi, je ne l’exprime pas.

Avec mon Club, je vis une expérience extraordinaire, enrichissante, même si le parcours en play-off est épuisant. Je la saisis avec intensité, en me nourrissant de chaque expérience. En solitaire peut-être, mais en totale complicité avec mes coéquipiers et tout le staff.

PHOTOS: Bernard Python / ANPS