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La guerre et le sport en Ukraine

TEMOIGNAGE D'UN JOURNALISTE SPORTIF.
Mercredi, 17 mai 2023

La guerre et le sport en Ukraine

LE QUOTIDIEN SOUS LES BOMBES.

La Jonchère / Kiev, le 17 mai 2023 : Il se nomme Olexander Alex Glyvynsky. Il est à la tête de la fédération des journalistes sportifs de son pays, l’Ukraine, et les représente au sein de l’AIPS, l’Association Internationale de la Presse Sportive, qui vient de se réunir en Congrès annuel à Séoul (KOR). Nous l’avons appelé à son retour dans ses bureaux à Kiev, une capitale qui ne compte plus les alertes et les raids meurtriers de l’agresseur russe, depuis le 24 février de l’année dernière.

Malgré cet enfer, Alex poursuit ses activités, sert le sport et plus particulièrement le football, sa passion, dont il est également le Chef de presse de l’équipe nationale. Il vit dans les conditions de sécurité que l’on imagine, au jour le jour, partageant avec ses confrères et tous les athlètes du pays l’angoisse de la guerre et sa barbarie.

Au cours d’une interview téléphonique, accordée le 15 mai 2023 au Petit reporter, Alex revient sur le quotidien de ses confrères, des athlètes et acteurs du sport ukrainien et dresse un état des lieux des installations sportives nationales, ciblées par les bombardements.


Après plus de 15 mois de guerre, dans l’angoisse de nouveaux bombardements, de nouvelles agressions, comment le sport ukrainien vit-il son quotidien ?

Malgré la situation, les activités sportives se poursuivent et s’adaptent aux circonstances, tant bien que mal. On peut ainsi dire que le sport continue de vivre dans les conditions très particulières, que je vous laisse deviner. Les compétitions sont très souvent interrompues par les hurlements des alarmes, annonçant des raids aériens. Tous les acteurs doivent alors se réfugier rapidement dans les abris, situés pour la plupart dans les sous-sols des sites. Les rencontres reprennent aussitôt l’alerte levée. C’est très compliqué parfois. Et surtout extrêmement dangereux, car soudain et inattendu.

Dans le cas du football, par exemple, notre fédération interdit au public l’accès au matches. Il serait en effet impossible d’évacuer un trop grand nombre de spectateurs dans les abris, en un trop court délai. Trop dangereux pour un sport aussi populaire. Les matches se disputent par conséquent à huis clos, avec les joueurs, les officiels et les médias. D’autres fédérations de sports autorisent, selon les cas, leur popularité, un nombre restreint de spectateurs.

 

Des athlètes ukrainiens figurent en nombre parmi les victimes innocentes de cette guerre. Comment vivent-ils ce drame ? Quel est le quotidien de cette élite ?

Les victimes sont nombreuses. Sous les bombes, certains y laissent parfois leur vie, d’autres en échappent par miracle. Autre exemple. De nuit, le premier mai, se disputait à Uman (Cherkasy oblast),, le championnat national de canoë, lorsque un missile a frappé un hôtel situé à quelques centaines de mètres du site des épreuves. Vingt-trois personnes ont été tuées lors de ce raid. Parmi les athlètes en compétition ce jour-là, figurait notre championne nationale et double médaillée d’argent et de bronze à Tokyo 2021, Liudmyla Luzan. Choquée, elle s’est retirée de la compétition, avant que la fédération annule purement et simplement le championnat.

Voilà quelques exemples des conditions dans lesquelles opère le sport ukrainien aujourd’hui. Cela étant, depuis une année, nous avons appris à vivre avec cette guerre et avons pris le parti de continuer malgré tout. Pour le sport et les sportifs, certes, mais également pour toute notre jeunesse, que nous voulons préserver et éloigner d’un conflit que nous n’avons pas voulu.

Quel est l’état des lieux des infrastructures sportives dans le pays, après 15 mois  de guerre ?

Malheureusement, un nombre important d’installations sportives a été détruites. Les statistiques officielles du Ministère des Sports font état de 343 installations touchées, soit 258 légèrement ou sérieusement affectées, représentant un coût, une perte de quelque 250 millions de US dollars et, plus grave encore, 95 sites ont été totalement détruits. Ainsi, dans le cas du football, les installations de Marioupol ont particulièrement souffert. 

De plus, le stade d'un autre club de la Premier League ukrainienne, Desna Chernihiv, a été lui aussi totalement détruit. Aussi, l'Association ukrainienne de football a-t-elle « réservé » les  places en championnat du FC Marioupol et du FC Desna, clubs ne peuvent actuellement pas jouer …faute de stade ! Dès que ces clubs pourront à nouveau fonctionner et participer à des compétitions, ils pourront revenir en Premier League, sans disputer des matches de qualification préliminaires.

Quelles sont les attentes de vos collègues journalistes sportifs ? Qu’attendez-vous de la presse sportive internationale qui suit et relaie votre actualité, votre message auprès du grand public dans le monde ?

Nous attendons de la part de nos collègues en Europe et dans le monde entier un soutien de tous les instants. Ici, plusieurs rédactions ont dû fermer, parce que détruites ou endommagées. De nombreux journalistes sont privés d’outils de travail et nous nous employons à leur fournir le matériel dont ils ont besoin, afin de couvrir les compétitions et de communiquer aux  collègues de l’étranger, non seulement les résultats, mais les conditions dans lesquelles elles se déroulent et comment nos athlètes vivent cette guerre.

Quel message adressez-vous à vos confrères dans le monde à 440 jours des JO de Paris 2024 ?

Pour nous les journalistes sportifs, nous qui vivons cette situation au quotidien, il est difficile  dans ce contexte d’imaginer nos athlètes évoluer sur la scène internationale, aux côtés de ressortissants russes et biélorusses. Gardons à l’esprit que la Russie, avec le soutien du Bélarus, bombarde quotidiennement nos maisons, tuent des civiles, hommes, femmes et enfants. Nous avons de la peine à imaginer une seule seconde, que ces athlètes-là osent se présenter au monde au titre de sportifs neutres. Ils sont du côté et porteurs de l’image d’un pays agresseur, barbare, responsable des horreurs qu’il commet sur notre territoire. Nous et tous les ukrainiens n’avons déclaré la guerre à personne.

Je sais pertinemment que certains de ces athlètes sont victimes et souffrent de ce boycott. Alors, si ils ou elles sont contre cette guerre et condamnent cette agression barbare, qu’ils se manifestent et le disent chez eux. Je les invite à s’adresser à leur gouvernement respectif, avant de se plaindre auprès des autorités des fédérations internationales de sport.

Mais pour la plupart, ces sportives et sportifs soutiennent leurs autorités dans cette guerre et  déclarent leur hostilité à l’Ukraine et à tous les pays qui sont à nos côtés. Comment voulez-vous les autoriser à participer aux compétitions internationales, à partager l’idéal olympique,  alors qu’ils participent et soutiennent ouvertement cette guerre ?

Les journalistes sportifs ukrainiens que je représente, espèrent que nos collègues dans le monde  saisissent bien la signification et surtout la portée de la présence d’athlètes cautionnant cette agression sur la scène internationale. Nous attendons de leur part un signe fort, sans céder à la désinformation.

(PHOTOS:  Mykola SYNELNYKOV (UKR), photographe USPA, all rights reserved)

 

Poignée de mains et autant d'encouragements pour Alex Glyviynsky (UKR) (à droite) de la part d'Emmanuel Fantaneanu (ROM), membre de l'Exécutif de l'AIPS,  instigateur de cette interview pour Le Petit Reporter. (Photo: E.F./AIPS)

 

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Organisation - Events - Cities - Federations (sport)